COOP HIMMELBLAU
Plan:
Introduction
:-Présentation.
-Contexte historique.
I - SYSTEMES OUVERTS.
II - ANTHROPOMORPHISME ET DECHARNEMENT.
III - MOUVEMENT.
IV - UN FUTUR DE SPLENDIDE DESOLATION.
V - DECONSTRUCTION ET ROLE DE L'INCONSCIENT.
Conclusion.
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Présentation :
Wolfgang D.Prix, né à Vienne en 1942, et Helmut Swiczinsky, à Pologne en 1945, fondent Coop Himmelblau en 1968. Frank Stepper (Stuttgart 1955) rejoint le groupe en 1991. "Himmel" signifiant "ciel" et "b(l)au" ( se prononce sans le "l" ) signifiant "construire", la traduction littérale de ce terme est "bâtir le ciel".
Contexte historique :
Dans le climat politiquement tourmenté des années 60 ( VietNam , mai 68 etc..) , l'Architecture subissait des modifications profondes ; en effet , le Style International avait été définitivement rejeté . L'anonymat des surfaces excessivement dénudées , la lourdeur des volumes purs et leur inadéquation à l'échelle humaine n'étaient plus à discuter . Il s'en suivit plusieurs mouvements réactionnaires , groupés sous le nom de Post-Modernisme , et dont le plus important est l'Historicisme ; son but est de redonner un langage , une identité , une vie aux bâtiments de l'Ere Moderne .
La coopérative Viennoise rejette les principes rationnels fonctionalistes hérités du Corbusier et du Modernisme , en même temps que le masque et l'artifice de façade dans lesquels tombait souvent le Post-Modernisme .
" [...] Nous n'avons pas envie de construire du Beidermeier* . Ni maintenant , ni à aucun autre moment . Nous en avons assez de voir du Palladio et d'autres masques de l'histoire . Car nous ne voulons pas exclure ce qui dérange de l'architecture ."
*Le Beidermeier est un style de meubles dérivé des grands styles classiques français, et qui connut son apogée en Allemagne et en Autriche, entre 1815 et 1860 .
I - Systèmes Ouverts :
Coop Himmelblau rejettent d'abord les notions d' " enveloppe" et de " cloison ", tout comme les divisions fonctionnelles du plan . Le volume virtuel délimité par les surfaces extérieures n'a aucune consistance en réalité , et ne doit donc pas être le point de départ de la forme, mais bien le résultat de celle-ci . Dans les bâtiments de Coop il est toujours clair que l'espace est bien le résultat de la structure et non l'inverse . C'est dans leur projet de la "Maison Ouverte" à Malibu ( non réalisé ) en 1983 qu'ils exposent leur concept des "Systèmes Ouverts " .
" L'architecture ouverte est libre de toute signification fausse . Elle est la présentation tri-dimensionnelle de la solution d'un problème . Si tant est que solutions il y ait .
Les formes assurées de l'enveloppe extérieure sont des virtualités rendues visibles . La forme interne n'est pas celle qui détermine la matière mais celle qui la différencie . Elle résulte de situations spécifiques qui s'imbriquent les unes dans les autres .
"[...]"Système ouvert" désigne les volumes , les passages et les situations complexes qui s'imbriquent dans l'espace , ainsi que leur modification possible ."
Maison ouverte à Malibu,1983 (Maquette)
Le squelette apparent est un leitmotiv qui revient sans cesse dans les oeuvres de Coop H. Cela peut paraître un point commun avec la tendance "high- tech" qui avait déjà commencé à l'époque , avec Norman Foster , Richard Rodgers et Renzo Piano , mais la sensation qui émane des oeuvres de Coop , diffère totalement d'un édifice high-tech . Si on prend l'exemple du musée d'Art Moderne "George Pompidou" (construit en 1977) , on remarque que l'espace mathématique et froid du musée dégage une impression de stabilité et de machinisme complètement différente du dynamisme incroyable et de la tension que dégagent les rares édifices du groupe viennois .
II - Anthropomorphisme et décharnement:
Coop Himmelblau s'inspirent des structures naturelles , notamment des charpentes osseuses et des exosquelettes d' insectes . Leur premier projet , en 1968 , la villa "Rosa", est une sorte de capsule pneumatique qui évoque l'image d'un insecte géant , dont l'aspect agressif est accentué par les pointes hérissées des pieux de la structure , et leur contraste avec la mollesse organique des formes gonflables . Si dans ce premier projet le bio-morphisme est trop apparent , l'allégorie animale restera une constante dans leurs oeuvres mais revêtira des formes de plus en plus abstraites, à mesure que le groupe gagne en expérience et en maturité .
Villa Rosa
, Prototype d'unité d'habitation gonflable, 1968
"Notre architecture n'est pas domestiquée . Elle se promène comme une panthère noire dans la jungle - Au musée , elle est comme un fauve en cage . "
Ce thème du pieu qui transperce le corps revient sans cesse dans l'architecture de Coop , et provoque chez l'observateur une tension , une sorte de malaise psychologique . Cela est dû au fait qu'on a toujours tendance à se projeter dans son environnement ( cette identification du corps à la monumentalité architecturale n'est pas nouvelle , et remonte à Vitruve et ses ordres , dont les proportions dérivaient du rapport de la tête humaine par rapport au reste du corps ) . Ainsi le propriétaire d'un corps conventionnel , confronté à l'architecture de Coop , se trouve contorsionné , disséqué , empalé à l'instar du bâtiment qui s'auto-cannibalise .
Remodelage d'un Toit
, Vienne, 1984
III - Mouvement :
Sous l'action de cette violence latente , le bâtiment "réagit" ; l'espace devient doué de vie , et semble se mouvoir , s'élancer en dehors des limites qui lui étaient consignées . Dans l'exposition "Architecture is now" en 1982 , Coop concrétisent cette idée en créant justement un objet qui "bouge" ; un mécanisme électronique fait monter et descendre une poutre à la manière de l'épine dorsale d'un félin ( l'objet lui-même est l'allégorie d'une panthère noire ) .
Mais le thème du mouvement n'est pas uniquement lié au biomorphisme animal . Il devient , parfois , élan immatériel , souffle de vie ,comme dans la "Maison au Toit qui s'Envole" de 1973 , à Londres , où la toile bleue suspendue à la place des derniers étages , capte les ondulations continuelles du vent et donne vie au bâtiment .
Complexe de salles de cinéma
, Dresde, Allemagne (Projet).
Le thème de l'envol est omni-présent dans toute l'oeuvre de Coop , même si ce n'est pas toujours avec la même clarté que celle des exemples précédents ( qui tiennent beaucoup plus de l'anecdote que du concept architectural ) . L'oblique , état intermédiaire entre l'horizontalité et la verticalité ( toutes deux positions d'équilibre ) , exprime un dynamisme potentiel , virtuel , une possibilité de mouvement , et Coop l'emploient à bon escient ; les pans de mur suspendus dans une position d'équilibre instable semblent flotter en apesanteur , se mouvoir librement dans l'espace à la manière de poissons dans un aquarium . Dans le "Remodelage d'un Toit" à Vienne en 1984 , la structure semble "perchée" sur son support comme un oiseau de proie prêt à fondre sur sa victime .
IV - "Un Futur de Splendide Désolation":
Il résulte de ces facteurs conjugués une nouvelle esthétique , épique , crue et impitoyable! Elle n'a surtout aucun lien avec les notions classiques de "rapport" et de "proportions harmonieuses" qui ont jusqu'alors guidé les rennes de l'architecture ...
" [...] C'est l'esthétique d'une architecture de la mort drapée dans son suaire blanc . La mort dans une chambre d'hôpital à carreaux blancs . L'architecture d'une mort subite sur le béton . Celle d'une poitrine enfoncée par la colonne de direction , celle de la trajectoire d'une balle qui transperce la tête d'un dealer sur la 42 e rue . "
Mais ce thème constant de la violence n'est pas gratuit ; son but est d'exprimer la réalité urbaine dans toute sa laideur et son incohérence . Dans le livre " Power of the City " , paru en 1988 , ils écrivent :
"VILLE DE LA NATURE :
La nature est devenue un accessoire de la civilisation urbaine . Civilisation dont nous tirons profit chaque jour mais que nous haïssons . Il nous faut vivre avec cette contradiction .
Les palliatifs ne servent plus à rien . Le rêve d'une nature intacte est révolu . Il nous faut avouer que plus jamais rien ne sera comme avant . Tout ce que nous pouvons faire , c'est construire des "monuments" à une réalité nouvelle , afin de reconnaître l'envergure de la réalité urbaine .
La ville est partout .
L'AVENIR D'UNE DESOLATION MAGNIFIQUE :
Les architectures de l'avenir existent déjà .
La solitude des jardins publics , la désolation des rues, la dévastation des bâtiments caractérisent nos villes actuelles et caractériseront aussi celles de l'avenir . Des expressions comme "sûre et saine" ne sont plus applicables à l'architecture .
Nous vivons dans un univers d'objets que nous n'aimons pas , reliques d'une civilisation urbaine . Nous possédons ces objets et les utilisons quotidiennement à notre avantage . L'architecture actuelle pousse ce décalage jusqu'à la schizophrénie .
L'architecture réactionnaire tend à dissimuler les problèmes , au lieu de créer une nouvelle conscience , indispensable , du fait urbain .
Il faut définir l'architecture actuelle comme le moyen de créer un surcroît de vitalité .
L'architecture contemporaine sera honnête et vraie lorsque les rues , les espaces ouverts , les bâtiments et les infrastructures reflèteront la réalité urbaine , lorsque la dévastation de la ville sera transformée en fascinants symboles de désolation . La désolation résultant , non de la complaisance , mais de l'identification de la réalité urbaine , développera les désirs , la confiance en soi et le courage de prendre possession de la ville .
L'important ne sera pas l'herbe sur laquelle on ne peut pas marcher , mais l'asphalte où on le peut .
Evidemment il faut mettre au rébut tout ce qui empêche cet "acte émotionnel d'utilisation" : la fausse esthétique , collée comme un maquillage outrancier sur le visage de la médiocrité , la frilosité des valeurs anciennes , la croyance voulant que tout ce qui dérange peut être embelli , les autocrates dont la devise est "efficacité , économie et produit à jeter" .
Les architectes doivent cesser de ne penser qu'à faire plaisir à leurs clients .
Les architectes doivent cesser de geindre sur leur mauvaises fréquentations .
L'architecture n'est pas un moyen en vue d'une fin .
L'architecture n'a pas de fonction .
L'architecture n'est pas un palliatif . Elle est l'ossature dans la chair de la ville .
L'architecture gagne du sens en proportion de sa désolation .
La désolation provient du fait d'utiliser; elle prend des forces dans la désolation environnante .
Et cette architecture délivre un message : tout ce que vous aimez est mauvais, tout ce qui fonctionne est mauvais , tout ce qu'il faut accepter est bon ."
L'espace construit est, conventionnellement, censé procurer à son habitant une sensation d'abri, bien sécurisante, l'image d'un "ventre maternel" selon certains. Coop font exactement le contraire! Leurs espaces sont durs, agressifs, menaçants. Cela peut nous rappeler la philosophie de Nieztsche qui appelle à rejeter le côté douillet de l'existence, et aller à l'encontre des obstacles blessants pour entretenir sa puissance, son poentiel d'agressivité.
Dans le siècle du capitalisme, de la Ville-jungle qui s'étend indéfiniment, cette attitude peut sembler la plus appropriée. C'est ce qui explique peut-être le succès croissant de ce groupe.
V - Déconstructivisme et rôle de l'inconscient:
Le terme "déconstructivisme" est encore très vaste et regroupe sous une même bannière des architectes aussi différents et conceptuellement éloignés que Zaha Hadid, Rem Koolhas ou Frank Gehry. Employé par Coop Himmelblau pour la 1ere fois en 1983 dans le livre "Architecture is Now" , le mot reçoit l'une de ses acceptations les plus courantes : une architecture dé-construite est une architecture intuitive , conçue spontanément, sans règles ni fins prédéterminées, et qui procède donc à l'inverse de la construction , planifiée et savante ( le jeu correct des volumes ... ) .
Une des méthodes du groupe pour arriver au dessin final est de commencer à dessiner perspectives et coupes entre-croisées, tout en discutant du projet et en étant le plus naturels possible ; ils déduisent ensuite le plan et le volume . Leur but est de laisser leur inconscient s'exprimer puisque ce dernier ne s'encombre pas des a priori's et des règles conventionnelles . Ils ont même poussé cette exploration de l'inconscient jusqu'à dessiner un projet les yeux fermés ( en l'occurence la Maison Ouverte ) , méthode qui se rapproche de l'écriture automatique qu'employaient certains poètes surréalistes pour mieux sonder leur subconscient . Ces derniers présentent d'ailleurs beaucoup de ressemblances avec Coop Himmelblau ; s'il devait exister une architecture surréaliste , Coop Himmelblau s'inscrirait certainement dans ce mouvement .
Conclusion:
Plus poétique qu'architecturale, la démarche de Coop Himmelblau ne supporte pas le compromis. Leur idéalisme intransigent, leur "brutalisme" visuel supposent un public prêt à s'interroger sur les valeurs pré-établies et à les remettre en question, ce qui n'est pas toujours le cas...
Si le Corbusier avait, 50 ans plus tôt, réussi à convaincre son public d'un changement radical, c'était essentiellement à cause du côté pratique de sa solution, - l'Europe, ravagée par les 2 guerres, avait besoin de logements nombreux et rapides à construire - ce qui n'est pas du tout le cas avec Coop Himmelblau ! Leur espaces sont difficilement vivables, et les divisions intérieures non prévues pour les fonctions qu'ils occuperont. Mais a-t-on besoin de toujours planifier, organiser, etiqueter les choses? Et la spontanéité d'une solution est-elle une preuve suffisante de son inefficacité (elle ferait en tout cas preuve de plus de débrouillardise ) ? L'Ere qui suivra celle de la "machine à habiter" sera-t-elle l'ère du retour aux instincts originels, à la spontanéité première de l'homme? C'est ce que le futur nous montrera...
Maroun Rached.
p.s: Certaines images ont été empruntées à l'adresse suivante;
http://falcon.jmu.edu/~tatewl/coop.himmelblau/
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